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mardi 12 mars 2013

Après notre secrétaire général, coup de gueule d'une historienne flamande...

En août 2012, nous vous faisions part du "coup de gueule" de notre secrétaire général, Albert Paternostre, concernant une certaine mainmise communautaire sur les commémorations à venir de la Première Guerre Mondiale.

Aujourd'hui, nous vous proposons de lire, à ce sujet, les déclarations faites pour La Libre Belgique (31 janvier 2013) de Sophie De Schaepdrijver, principale historienne flamande de la Grande Guerre qui enseigne d'ailleurs à la Pennsylvania State University.

 
 
LLB : Geert Bourgeois entend faire de l'anniversaire un événement très flamand. Cette récupération vous dérange...

S. De Schaepdrijver : Oui, parce qu’elle est, d’abord, simpliste et schématisante, et, ensuite, anachronique. Les revendications flamandes furent un élément très important de l’expérience belge de la Grande Guerre, mais on ne les comprendra qu’en les mettant en contexte. L’année 1917 fut une "année impossible" - je cite le titre de l’ouvrage de Jean-Jacques Becker - non seulement sur l’Yser mais à travers tout le monde belligérant; le malaise flamand sur l’Yser - qui connut des fluctuations et des limites - s’y inscrit. Notons aussi que le poids flamand sur l’Yser change la donne pour toute l’armée belge. L’auteur Max Deauville a très bien observé qu’une armée où plus de la moitié des soldats ne parle pas ou peu la langue dominante, générera une culture plus ironique vis-à-vis de "l’éloquence militaire". Tout cela pour dire que, dans ce pays, nous avons agi les uns sur les autres, et qu’il en est sorti des spécificités autrement captivantes que les clichés ennuyeux à pleurer du nationalisme d’où qu’il vienne. Je me permets de faire référence à mon grand-père paternel qui a fait l’Yser. Il tenait deux journaux de guerre. L’un, en flamand, écrit sous forme de lettres à son frère jésuite, met en scène un jeune étudiant catholique conscient de son rôle : il parle notamment d’une visite au leader flamand Cyriel Verschaeve. L’autre, en français, est en fait une ébauche de roman : il s’y imagine sous les traits d’un officier anglais qui rencontre une belle femme dans un bar et se trouve confronté à cette idée lancinante : je ne veux pas mourir sans avoir connu l’amour. Voilà tout un monde qui s’ouvre. Pourquoi s’exprime-t-il différemment selon la langue choisie ? Le bilinguisme permet donc un jeu sur différents registres ? Nous sommes en présence d’un monde englouti, dont une connaissance plus approfondie nous enrichira tous, y compris pour aborder celui d’aujourd’hui. Pour ce qui est de l’anachronisme : n’en déplaise aux instances officielles, pour la grande majorité, l’identité flamande en ’14-’18 se conjuguait avec l’être-belge. Ce n’est que dans l’entre-deux-guerres que l’écart s’est creusé. Tout se passe comme si la mémoire de la guerre a davantage divisé que la guerre elle-même.

LLB : La thématique pacifiste traversera les commémorations flamandes. Une manière d'ôter la dimension belge du conflit ?

S. De Schaepdrijver : La thématique pacifiste domine partout la mémoire de 14-18. C’est bien de souligner que la guerre est une chose atroce. Cela préserve la mémoire européenne d’une certaine inconscience militariste qu’on voit aux États-Unis. Par contre, la perspective du pacifisme radical ne permet pas de comprendre la Grande Guerre, ni de reconstituer l’univers mental de ceux qui l’ont faite. Pour ce qui est de la dimension belge : de tous les belligérants, la Belgique mena la guerre la plus justifiable. L’armée belge a combattu l’envahisseur; ce fut une guerre de défense. La thématique pacifiste, qui prétend volontiers que ce fut une guerre "absurde" n’a pas de réponse à l’invasion. Eût-il fallu l’accepter car tout ça vaut mieux que la guerre ? Je veux bien, mais il faut avoir le courage de le dire et ne pas rester dans le flou. Et quid de la Flandre occupée ? Elle l’était au même titre que la Belgique francophone; les gens ont été massacrés à Aarschot, à Roulers et ailleurs; la misère matérielle était profonde; des ouvriers furent déportés sous des conditions horribles. Une partie du discours flamand d’aujourd’hui semble suggérer que la guerre fut un conflit entre la Belgique et l’Empire allemand qui ne regardait pas la Flandre. C’est faux.

LLB : Kris Peeters vous a aussi oublié dans son comité de patronage des commémorations. Seriez-vous trop Belge ?

S. De Schaepdrijver : Je ne pourrais pas vous le dire; je n’ai appris l’existence de ce comité qu’en lisant "De Morgen".

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