Ceci est un résumé de "La révolution de 1830 au pays d'Ath" de Jean-Pierre Delhaye dans les Annales du Cercle Royal d'Histoire d'Ath XLIX (pp. 283 à 316, 1982/1983), que vous pouvez consulter à la bibliothèque communale d'Ath.
1° Les causes économiques et sociales
La participation active des Athois aux journées révolutionnaires de septembre 1830 n'est pas fortuite car le gouvernement hollandais était rendu responsable du déclin économique de la cité. Dès 1822, la France renforçait ses droits sur les bestiaux, les lins et le chanvre, augmentant le marasme des affaires. La Chambre de Commerce de Tournai réclamait l'application de représailles. L'ouverture du canal de Pommeroeul à Antoing en 1826 privait définitivement Ath de son commerce charbonnier. En 1830, la situation économique était désastreuse, comme le note avec pertinence B. Depryck : "Ruinée dans son commerce de lin, lésée dans ses espérances charbonnières, que restait-il à la ville pour vivre? Peu de choses : une industrie réduite à la portion congrue, un artisanat du bois, du cuir et du textile bien faible au moins par le nombre, un petit commerce peu prospère".
Dans les campagnes, de nouveaux impôts indirects sur la mouture et l'abattage, établis en 1822, exaspéraient les paysans. A Ellezelles, pour échapper au droit de l'abattage fixé à 2 francs par porc, les villageois tuaient leur cochon la nuit et le brûlaient sous le large manteau de leur cheminée, au risque de mettre le feu au chaume de leur maison. La suppression tardive de ces taxes rassurait le gouverneur du Hainaut De Macar qui écrivait au ministre de l'Intérieur en janvier 1830 : "L'agitation continue à s'apaiser ; la cessation de l'impôt mouture a ôté à la malveillance son plus puissant moyen de succès".
D'autre part, le paupérisme, cette plaie de l'ancien régime, n'avait pas cessé de ronger la Belgique. Ainsi à Flobecq, commune de 5.000 habitants, le nombre de pauvres secourus grimpait de 1.200 à 1.390 en une seule année, de 1828 à 1829. Les recommandations du gouverneur De Macar aux administrations communales révèlent l'impuissance de l'Etat à résoudre la crise sociale qui s'amplifie.
2° Les causes politiques : le pétitionnement de 1829-1830
Le pétitionnement organisé à partir d'octobre 1829 pour obtenir le redressement des griefs rencontre un succès considérable dans la région d'Ath. Il est soutenu ouvertement par le clergé paroissial. Un groupe de jeunes libéraux dirigé par Eugène Defacqz apporte son concours aux protestataires. La pétition de la ville d'Ath offre 429 signatures "qui appartiennent toutes aux personnes les plus notables et les plus respectables". A Blicquy, Chapelle-à-Oie et Moulbaix, les pétitionnaires souhaitent l'exécution franche et prompte du concordat, ainsi que l'abolition de la mouture et du droit d'abattage. Alexis du Roy du Blicquy, membre des Etats provinciaux, signe la pétition de sa commune.
Le gouvernement commet une nouvelle erreur psychologique en révoquant les assesseurs de la province du Hainaut qui ont fait circuler les pétitions. En juin 1830, les électeurs du canton de Frasnes élisent Barthélémy Dumortier, membre des Etats provinciaux. Les intrigues du commissaire du district d'Ath Ricart du Régal et les menaces du gouverneur du Hainaut De Macar sont inutiles, car la députation permanente et les Etats provinciaux refusent de suivre le despotique gouverneur qui doit souffrir la présence de l'élu frasnois.
Drapeau d'honneur reçu par Ath |
3° Les journées de septembre (28 août au 26 septembre 1830)
Dans un contexte économique et social déprimé, les événements bruxellois attisaient la colère des Athois contre le gouvernement de La Haye. Les autorités communales comptaient sur la garde urbaine pour les préserver des excès populaires. Cette milice bourgeoise occupe en accord avec la garnison les différents postes de la ville. Déjà le 29 août, une circulaire du gouverneur du Hainaut adressée aux bourgmestres de la province présentait une version édulcorée des incidents en prétendant que "Bruxelles est aussi parfaitement tranquille". La garde urbaine d'Ath, forte de 500 hommes, répartie en sections de 20 hommes, patrouille toute la nuit, rétablit l'ordre, mais n'empêche pas l'enlèvement des armes royales du bureau des domaines et du bureau des messageries.
Arrivé de Bruxelles, l'avocat Eugène Defacqz secoue la torpeur de la Régence : une adresse est envoyée au roi Guillaume Ier. Le bourgmestre est contraint de signer le document rédigé par le juriste libéral. Cette diatribe incisive, inspirée de l'idéologie libérale et nationale, revêtue de 168 signatures, est expédiée au Roi le 30 août. Le 3 septembre, les nouvelles de La Haye sont accueillies avec consternation. L'autorité du bourgmestre et commissaire de district Ricart du Régal est contestée car chacun craint qu'il ne soit l'homme du pouvoir avant d'être celui de la ville. Le journal "Le Courrier de l'Escaut" l'invite à présenter sa démission.
Le 4 septembre, Ricart du Régal réagit très adroitement en réaffirmant la solidarité des uns et des autres. Franchement orangiste, il exhorte les officiers au loyalisme. Les efforts du bourgmestre ne sont pas couronnés de succès : dès le 5 septembre, la garde bourgeoise réclame 380 fusils au commandant hollandais de la forteresse. La Régence d'Ath est hésitante : à côté de patriotes convaincus comme Defacqz et Dupret, d'autres conseillers veulent rester dans la légalité. La noblesse (dont le prince Eugène de Ligne) est également réservée.
Dès le 6 septembre, la ville de Chièvres adhère à la séparation de la Hollande et de la Belgique. Le drapeau brabançon est arboré dans beaucoup de localités. Des volontaires d'Ath et de Mons sont attendus à Bruxelles. Le 8 septembre, le major Cambier arrive à Ath et engage la garnison et les habitants à se déclarer pour la cause belge et à porter les couleurs de l'indépendance. Le 9 septembre, Emmanuel Dupret de Tongre-Saint-Martin hissait le drapeau brabançon sur la tour de Saint-Julien. Il prit également une part très active à l'organisation des compagnies de volontaires.
Enhardis, les patriotes tentaient un coup de force : dans la nuit du 9 au 10 septembre, ils emmènent une vieille pièce d'artillerie "le canon du Mont Sarah" et la dirigent sur Bruxelles, où ils arrivent le 11 dans l'après-midi. Pour passer inaperçus, les patriotes avaient démonté le canon de son affût, et avaient chargé le tout dans une charrette recouverte de paille.
Drapeau d'honneur reçu par Maffle |
Le 14 septembre, le peuple d'Ath se soulève : les palissades employées pour barricader le corps de garde de la porte de Mons sont arrachées et jetées dans les fortifications aux cris de "Vive les Belges! A bas les barricades des militaires!". La foule se porte ensuite vers l'hôtel de ville, exige que les magasins de poudre soient surveillés par la garde urbaine, que l'artillerie soit replacée de la caserne à l'arsenal. L'autorité militaire est débordée. Le journal "Le Courrier de l'Escaut" ranime l'élan patriotique de la fin du mois d'août : "Quoique les couleurs de la ville d'Ath soient jaune et bleu, on a préféré s'unir à l'élan général et depuis 15 jours, le drapeau tricolore belge flotte sur les tours de la ville". Dès lors, les incidents se multiplient : les militaires hollandais sont injuriés et agressés par les patriotes. Le 21 septembre, le gouverneur du Hainaut De Macar admet la réalité : "Charleroi s'apaise, Tournai se maintient. Il n'y a que la ville d'Ath qui puisse donner d'inquiétude ; le général commandant la province en a prévenu S.A.R. le prince Frédéric".
Le 24 septembre, Alexandre Gendebien et son groupe, venant de Valenciennes, arrivent devant la place fortifiée d'Ath. Il exhorte les jeunes Athois à marcher sur Bruxelles. Dans la soirée, 80 volontaires commandés par le capitaine Emmanuel Dupret de Tongre-Saint-Martin partent d'Ath. Le 25 septembre à 11h du soir, De Macar annonçait "que des individus armés de Tournai, Leuze, Ath, Charleroi, Fleurus, Gosselies et quelques villages du Borinage sont partis pour aller au secours de Bruxelles, comme ils le disent. Leur nombre n'est pas connu, mais il n'est pas considérable". De nombreux cas de désertion sont signalés dans un bataillon d'infanterie de la garnison d'Ath.
4° La révolte populaire du 27 septembre et ses conséquences
L'occasion de la révolte populaire est l'arrivée, à l'aube du 27 septembre, du colonel hollandais Knotzer. Cet officier a pour mission de prendre le commandement de la garnison et de rétablir le pouvoir royal. Dès l'entrée du colonel hollandais dans la place, les Athois passent à l'action. Une journalière Marie-Anne Leroy et une dentellière Catherine Seghin haranguent la foule et dirigent le mouvement révolutionnaire. L'infanterie mutinée, le colonel Knotzer est fait prisonnier par le peuple. L'échevin Emmanuel Dupret se rend au milieu de la populace exaspérée et parvient à la calmer en lui donnant l'assurance que l'état de siège ne serait pas proclamé. Il prend sous sa protection le colonel et l'escorte jusqu'à la prison pour le soustraire à la fureur populaire. Tandis qu'Ath se libérait, Louis De Potter passait sous les remparts de la ville dans une chaise de poste, et se rendait à Bruxelles. Le peuple, ivre de vengeance, fait la chasse aux Hollandais et aux orangistes. La garde bourgeoise assure, tant bien que mal, la sécurité des officiers prisonniers et empêche la foule de saccager la maison du bourgmestre Ricart du Régal.
5° Les volontaires du pays d'Ath au service de la Belgique
Les répercussions nationales des événements athois sont indéniables, comme la participation des habitants d'Ath et des communes rurales aux combats de Bruxelles. La ville d'Ath, les communes de Maffle et Meslin-l'Evêque se voient décerner un drapeau d'honneur en exécution du Congrès National du 28 mai 1831.
Drapeau d'honneur reçu par Meslin-l'Evêque |
6° Conclusions
La révolution de 1830 est-elle une révolution nationale? La Régence d'Ath est partagée : à côté d'un bourgmestre orangiste (Ricart du Régal), de conseillers francophiles (Delescluse père et fils), et de quelques patriotes (L. Defacqz et E. Dupret), on relève de nombreux hésitants. Eugène Defacqz (qui n'est pas conseiller de Régence) est pratiquement le seul à afficher publiquement ses sentiments patriotiques belges dès la fin du mois d'août. Il entraîne dans son sillage quelques libéraux, comme Emmanuel Dupret (futur bourgmestre de Tongre-Saint-Martin) et l'avocat Maximilien Deghouy. Les autres préfèrent attendre les événements. Si la bourgeoise demeure prudente, la noblesse reste longtemps loyaliste à l'égard de Guillaume Ier : le prince Eugène de Ligne et le comte Edouard de Rouillé craignent l'anarchie. D'ailleurs, à la fin de l'année 1830, les sentiments francophiles rencontrent encore beaucoup de sympathie parmi les masses en Wallonie. Par contre, dans certaines villes flamandes, à Renaix notamment, les orangistes restent très puissants, ce qui n'empêche pas cette cité d'obtenir un drapeau d'honneur en 1832. Ainsi, la révolution athoise de 1830, d'origine sociale, n'est qu'accessoirement nationale : "l'historien événementiel" doit être modeste et recourir parfois aux analyses de la sociologie.
Source de ces extraits : "La révolution de 1830 au pays d'Ath" de Jean-Pierre Delhaye dans les annales du Cercle Royal d'Histoire d'Ath
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